La Clape, chic et iodée

Le massif de la Clape - « tas de cailloux » en occitan - s’étend sur 17 kilomètres de Narbonne jusqu’à la mer. Ce terroir viticole, sec et venteux, fut, il y a longtemps, une île. À force de ténacité et de travail qualitatif, les vignerons de la Clape ont obtenu l’appellation communale en 2015. Une consécration pour leurs vins rouges complexes et leurs blancs iodés, qui se classent désormais dans les Languedoc haut de gamme. L’évolution du climat vers du toujours plus sec et plus ensoleillé ne leur facilite pas la tâche. Mais là encore, ils ne manquent pas d’idées.

Du temps des Romains il y avait ici une île, Insula Laci, transformée en terroir calcaire balayé par les vents du Sud et arrosé de soleil, plus de 3000 heures par an ! Ce vignoble couvre 735 hectares de terres, coincés entre le massif de la Clape qui culmine à 214 mètres et la Méditerranée. Un paysage fait de hautes falaises, de canyons et de vallons couverts de pinède, vignes et garrigue, au cœur du Parc naturel régional de la Narbonnaise. Le site, classé depuis quarante ans, est aussi devenu zone protégée Natura 2000. « Cet empilement de protections joue sur le comportement des vignerons : il y a une volonté de protéger ce terroir, conscients de sa fragilité », témoigne Christophe Bousquet, du château Pech-Redon, et président de l’appellation La Clape. C’est lui, entre autres, qui a engagé le combat collectif pour obtenir l’appellation communale en 2015. Dès lors, les vins ont pris du galon et de la prestance. Qu’il s’agisse des rouges puissants et complexes, bâtis majoritairement avec grenache, mourvèdre, syrah et cinsault ou des blancs iodés et floraux, dont le bourboulenc serait l’ossature principale aux côtés des grenache blanc, marsanne, Roussanne, et bien d’autres…

Ici le vignoble fouetté par la tramontane tire sa singularité d’un sol de calcaire fissuré qui apporte à ces vins marins beaucoup de fraîcheur et de minéralité. Comme ceux du château Combe des Ducs, situés juste face à la mer. « On prend de plein fouet les embruns, nos cuvées de blanc ont cette salinité, sur les rouges c’est plus discret », commente Brigitte Fountic. Installée avec son mari Jean-Luc depuis 1995, ils sont partis de 5 hectares pour arriver à 50 aujourd’hui, dont 30 en appellation La Clape. « Nous ne faisons des bouteilles que depuis 2012. On a pris notre temps pour produire du qualitatif et on a profité du travail du syndicat pour l’appellation. Depuis, La Clape a gagné ses lettres de noblesse, même si on reste très petits avec nos 50 000 bouteilles par an. » Et de citer Gérard Bertrand, le mastodonte de l’appellation avec son Château L’hospitalet. « Il véhicule une belle image de La Clape. Cela nous aide à nous positionner dans le haut de gamme des vins français. » Ce qui se vérifie dans les bouteilles, mais aussi dans l’offre touristique des grandes propriétés de la Clape comme L’Hospitalet ou le Château Pech-Céleyran, magnifique domaine des Saint-Exupéry (famille de l’aviateur) dont les vins se fabriquent en famille depuis cinq générations.

S’adapter au manque de pluie

Terre de caves particulières, on trouve tout de même sur la Clape trois caves coopératives dont celle de Gruissan. Sur ses 400 hectares, seuls 50 sont dédiés à La Clape, car, longtemps, Gruissan fut rattaché aux Corbières, bien que géographiquement dans le massif. Chose rectifiée par l’INAO depuis l’obtention du cru communal. Aujourd’hui, la cave continue à produire du Corbières mais sort trois rouges et un blanc en La Clape. 

« Passer en La Clape nous a apporté une plus grande transparence pour le client, constate Frédéric Vrinat, son directeur.

Et puis, la stratégie de cette appellation, avec ses domaines particuliers haut de gamme, nous correspond plus que celle des Corbières qui vend plus au négoce. »

La cave de Gruissan vend 90 % des bouteilles en circuit court, sur une zone de 30 kilomètres, tourisme oblige. Si l’appellation bénéficie de cette clientèle locale, cela ne l’empêche pas de séduire de plus en plus à l’export, où part 60 % de la production. Coopératives comme caves particulières se posent aujourd’hui tous la même question : celle du changement climatique qui accentue la sécheresse.

Alors l’appellation pense à des solutions d’irrigation, de taille, de cépages. Ainsi, la cave de Gruissan délaisse un peu la syrah « peu adaptée au manque de pluviométrie », et réhabilite le Carignan « longtemps décrié, mais qui, sur des rendements limités, répond bien aux terroirs ».

Christophe Bousquet, lui, tente de planter des cépages méditerranéens habitués aux très grosses chaleurs. « Je fais ma première plantation cet hiver de cépages grecs et siciliens. »

La Clape anticipe donc, pour mieux rebondir demain.

Christophe Bousquet

Président de l’AOC La Clape.    « L’appellation nous a tirés vers le haut »

Que vous a apporté la reconnaissance de l’appellation communale ?

L’engagement sur ce dossier nous a d’abord obligés à structurer le syndicat. Ensuite, l’objectif était de nous tirer vers le haut. Ces efforts mis dans les bouteilles, dans le travail à la vigne et dans les caves, ont accru notre notoriété et les prix. En cinq ans, le vrac a doublé, l’offre en bouteilles part dans sa totalité et les demandes du négoce augmentent. Ce qui est déclaré en La Clape est ce qu’il y a de mieux ! On fait aujourd’hui partie des plus grosses appellations communales, de la même taille que Pic-Saint-Loup, avec 4 millions de bouteilles qui partent partout dans le monde.

Au château Pech-Redon, vous avez été un des pionniers de l’agriculture bio. Comment cela se répand-il dans l’appellation ?

Je suis passé en bio en 2004. C’était logique sur un territoire naturel aussi protégé. En tant que président de l’appellation, j’avais aussi l’objectif d’appuyer une logique environnementale. Le passage en Natura 2000 a été un moyen de proposer des alternatives. Aujourd’hui, dans La Clape, il y a des vignerons en bio, en biodynamie, en Terra Vitis, des conventionnels en mesures agro-environnementales. Cela va dans le bon sens.

Comment se profile l’avenir climatique de l’appellation ?

C’est un défi ! Depuis quelques années, le climat est de plus en plus sec, ce qui signifie des rendements en baisse. En 2016, on n’a même pas pris 20 mm d’eau dans l’année ! Si on veut pérenniser le vignoble et les exploitations, il faut anticiper ces évolutions qui sont incontestables. On a monté un Groupement d’intérêt environnemental et économique, financé par la Région Occitanie. On s’y pose les questions sur l’avenir, particulièrement celle de l’eau. Comment optimiser l’irrigation, comment imaginer des alternatives : la récupération des eaux de pluie, réfléchir au palissage, à la taille… Nous souhaitons penser à tout ça, mais pas dans l’urgence, ni avec la peur au ventre. Finalement, c’est un challenge intéressant pour les vignerons.

Les sentiers gourmands

C’est devenu un rendez-vous attendu dans l’appellation :

les sentiers gourmands réunissent chaque année 1200 personnes pour découvrir à pied le vignoble, non sans déguster les vins et goûter les mets raffinés d’un chef de la région. Cette année, le rendez-vous aura lieu le dimanche 19mai sur un parcours de 6km, depuis le château Le Bouïs à Gruissan. Marc Schwall des Cuisiners Cavistes (Narbonne) opérera aux fourneaux de cette journée bucolique, parmi les ceps et sous les pins.

Le Château l’Hospitalet, navire amiral de Gérard Bertrand

Gérard Bertrand règne depuis trente ans sur les vins du Languedoc-Roussillon avec quatorze domaines, dont douze en biodynamie. Son château l’Hospitalet, ancien hospice majestueux acquis en 2002 sur le massif de La Clape, est considéré comme le cœur de toutes les propriétés. Au milieu de 1000 hectares de garrigue et de pinède, dont 100 hectares de vigne, la propriété amirale, et siège social de son entreprise, réunit tous ses savoir-faire : des visites guidées des métiers de la vigne, une boutique, un hôtel, un restaurant et un festival de jazz. Avec 200 000 visiteurs par an, L’Hospitalet est l’un des sites les plus visités du département de l’Aude.

Infos pratiques :

Syndicat de l’AOC La Clape
pour tout savoir sur les événements,
le terroir, les vignerons,
les offres œnotouristiques
04 68 90 38 30
www.la-clape.com

Les sentiers gourmands
Dimanche 19 mai, départ Château Le Bouïs, Gruissan,
Inscriptions  : www.la-clape.com

Château Pech-Redon
Christophe Bousquet,
Route de Gruissan,
La Couleuvre, Narbonne,
04 68 90 41 22
https://chateaupechredon.wordpress.com

Cave de Gruissan
1, boulevard de la Corderie,
Gruissan,
04 68 49 01 17
www.cavedegruissan.fr

Château Pech-Céleyran
Famille Saint-Exupéry,
Salles d’Aude,
04.68.33.50.04
www.pech-celeyran.com

Château L’Hospitalet
groupe Gérard Bertrand, visites,
restaurant, hôtel, concerts,
Route de Narbonne Plage,
Narbonne,
O4 68 45 28 50
www.chateau-hospitalet.com

Château Combe des Ducs
Famille Fountic,
24, boulevard Général de Gaulle,
Fleury d’Aude,
04 68 33 90 04
www.combedesducs.com